Eugène Berman
Saint-Pétersbourg, 1899 – Rome, 1972
Colonna Crepuscolare, juillet-août 1958
Huile sur toile
47 x 36 cm
Monogrammée, datée, titrée et située au verso :
E.B. / 1958. / Roma. Luglio-Agosto 1958. / « Colonna Crepuscolare »
Sur le châssis, cachet rouge de l’artiste avec l’adresse « Via del Plebiscito 107 / Roma » et cachet du fournisseur de matériel pour artiste, L’Artistica, Via del Babuino à Rome
Eugène Berman naît à Saint-Pétersbourg en 1899, dans une riche famille de banquiers russes. Grâce à l’influence de son demi-frère Anatole Chaïkevitch (1879-1947), collectionneur et amateur de musique et de ballet, il s’initie à la peinture et au dessin. Après la Révolution russe, il quitte la Russie en 1918 et s’installe à Paris, où il termine sa formation à l’Académie Ranson, alors que certains des artistes les plus importants du groupe des Nabis y enseignent. À cette époque, avec quelques autres artistes, opposés comme lui à la mode dominante du cubisme - parmi lesquels son frère Léonid (1896-1976), Christian Bérard (1902-1949) et Pavel Tchelitchew (1898-1957) - Eugène Berman donne naissance au groupe des « néo-romantiques », ainsi baptisé par le critique Waldemar George à l’occasion de leur première exposition collective, en février 1926. Ses œuvres sont remarquées par le galeriste new-yorkais Julien Levy qui, après lui avoir consacré plusieurs expositions, l’invite à s’installer à New York, où il s’établit définitivement en 1939. Aux États-Unis, en plus de son travail de peintre, Berman débute comme scénographe et costumier pour l’opéra et le ballet, domaine dans lequel il obtient un succès considérable et une réputation d’excellence. Installé à Los Angeles dans les années 1940, il y épouse en 1950 Ona Munson (1909-1955), actrice hollywoodienne. Désespéré par le suicide de cette dernière en 1955, Berman revient en Europe et s’installe à Rome, où il poursuit son œuvre de scénographe. Dans son vaste appartement-terrasse du Palazzo Doria Pamphilj, il met en scène un écrin digne de ce nom pour abriter sa collection - plus de trois mille pièces d’antiquités, principalement étrusques, égyptiennes, africaines et précolombiennes - aujourd’hui conservée au Forte Sangallo de Civita Castellana.
Une source d’inspiration constante dans l’art de Berman est l’Italie, visitée lors d’innombrables séjours depuis son premier voyage en 1922. Ses paysages métaphysiques recréent des ruines antiques, l’architecture palladienne et baroque, les plaines dépeuplées de la campagne romaine, les collines autrefois habitées par les Étrusques, la terre rude et ensoleillée de la Sicile. Entre 1955 et 1960, Berman réalise une série d’œuvres consacrées aux colonnes triomphales romaines - la colonne de Trajan et celle de Marc-Aurèle - motif que l’on retrouve dans des œuvres telles que la Vue imaginaire de Rome de 1954 (collection particulière)[1] ou la Colonne de Trajan de nuit, datée de 1960 (collection particulière)[2]. Notre Colonna crepuscolare montre une scène poétique juxtaposant colonne triomphale et linge étendu, la grandeur antique et la vie prosaïque de tous les jours. L’atmosphère est sombre et surréaliste, dominée par des tons bleus, rouges et jaunes. Bien que le titre suggère que le sujet principal devrait être le monument pris dans son intégralité, la colonne n’est ici que partiellement visible : on n’en perçoit que le socle monumental et le bas-relief en spirale qui en entoure le fût. La base, ornée de reliefs en marbre figurant boucliers, casques et cuirasses, n’est pas réaliste et paraît même un peu légère pour supporter le poids de la colonne. Le contraste entre la petitesse des personnages et les dimensions du monument produit un effet visuel et symbolique de grande puissance. La couleur volontairement artificielle du ciel contribue à transporter le spectateur dans une dimension suspendue, au-delà de l’espace et du temps, donnant à l’image l’apparence d’une vision intemporelle. Notre Colonna crepuscolare condense la poétique la plus authentique de Berman : dans cette rencontre entre la gloire ancienne et la fragilité humaine, entre la solidité de la pierre et la légèreté du linge, l’artiste suscite des émotions contrastées, mêlant mélancolie et émerveillement dans une scène qui transcende le réel pour devenir une réflexion universelle sur le rapport de l’homme au temps.
[1] Huile sur toile, 46 x 35,6 cm (New York, Christie’s, 14 février 2008, n° 101).
[2] Huile sur toile, 70 x 50 cm (M. Cardarelli, Eugène Berman, Un pèlerin de la beauté, Rome, 2025, p. 96, n° 42).


