James Tissot
Nantes, 1835 – Buillon, 1902
Le Départ de l’enfant prodigue, vers 1862
Huile sur carton
27 x 54 cm
Au verso, Couple dans un jardin, grisaille
Œuvre en rapport
Esquisse préparatoire pour Le Départ de l’enfant prodigue, Paris, musée du Petit Palais
Né à Nantes, l’artiste fait ses premières armes dans la capitale française à la fin des années 1850 où sa passion pour l’art ancien et pour l’art japonais nourrissent sa peinture. Dans le creuset parisien, à une époque où la modernité théorisée par Baudelaire trouve son expression sous le pinceau de Whisler, Manet ou Degas, Tissot et son esprit dandy sont appréciés par la société mondaine. Après la guerre de 1870 et la Commune de Paris, Tissot s’installe à Londres et poursuit une carrière en vue qui le voit naviguer dans les meilleures sphères. Peu à peu, son œuvre se concentre sur la figure radieuse puis déclinante de sa compagne Kathleen Newton, incessamment présente dans ses tableaux. La mort de cette dernière en 1882 scelle le retour en France de Tissot. Sa carrière se poursuit dans la description des déclinaisons multiples de la Parisienne, objet d’un grand cycle (La Femme à Paris), et les explorations de sujets mystiques et religieux, avec le cycle du Fils prodigue et les centaines d’illustrations de la Bible, qui rendront l’artiste immensément célèbre au tournant du XIXe au XXe siècle.
Au début de sa carrière, Tissot entreprend deux voyages. Le premier, en 1859, dans les Flandres, en Allemagne et en Suisse pour étudier les maîtres allemands – Dürer, Holbein – et rendre visite à Henri Leys à Anvers. L’autre voyage est le traditionnel voyage d’Italie, entrepris durant l’automne et l’hiver 1862-1863. Tissot évite alors Rome et les sites antiques pour mieux se concentrer sur Florence et Venise, où il s’émerveille, comme l’avaient fait avant lui Gustave Moreau et Edgard Degas, devant les Carpaccio, Mantegna et Bellini. Cette double influence nordique et italienne prend corps au Salon de 1863 avec le diptyque du Départ et du Retour de l’enfant prodigue (Paris, Petit Palais)[1]. L’évangéliste saint Luc rapporte la parabole du Fils prodigue : après avoir réclamé sa part d’héritage à son père, un fils quitte la riche maison familiale. Il dilapide son héritage puis, frappé par la famine, il décide de revenir vers la maison paternelle. Son père le voyant de retour l’accueille avec bienveillance. C’est cet épisode du Nouveau Testament que James Tissot illustre à travers deux tableaux représentant le début et la fin de la parabole.
Si le Retour du fils prodigue prend sa source auprès des maîtres flamands et de l’architecte nordique, le Départ évoque le voyage en Italie de l’artiste et la forte influence des artistes vénitiens sur Tissot. Comme l’écrivait Tissot à son ami Edgar Degas : « Je suis dans les Carpaccio et je n’en sors pas »[2]. Et c’est bien ce peintre vénitien de la fin du XVe siècle qui fournit à l’artiste son modèle pour le Départ de l’enfant prodigue (fig. 1) : les architectures environnantes et la composition générale sont ainsi largement empruntées au Miracle de la relique de la Vraie Croix (1494, Venise, Accademia) et au cycle de Sainte Ursule (1500, Venise, Accademia).
Notre tableau est l’esquisse préparatoire pour cette œuvre. Toujours méticuleux dans son travail, Tissot exécute probablement en premier une étude dessinée de la composition achevée (New York, The Metropolitan Museum, inv. 1970.114.2) avant de réaliser notre esquisse peinte. Par la suite, l’artiste réalise de plusieurs dessins de détails pour les principaux personnages de la composition[3]. Si la position de cette figure est trouvée dès le premier jet, on note de nombreuses différences entre notre esquisse et le tableau achevé. Ainsi, dans le dessin et dans l’esquisse, l’enfant prodigue baise la main de son père alors que dans le tableau du Petit Palais, Tissot ajoute les figures de la mère – à laquelle le fils fait le baisemain – et de la jeune sœur. Par ailleurs, on peut noter de nombreuses différences dans le groupe à droite des hommes en barque et dans celui de gauche des femmes accueillies sur le ponton.
Au verso de cette œuvre, l’artiste a peint une scène un peu confuse où l’on retrouve un couple enlacé dans un jardin Renaissance avec des charmilles et une fontaine (fig. 2). Ce couple semble être dérangé et regarde vers la gauche. A cet endroit, Tissot a ébauché une autre composition – mais dans un sens différent – avec un personnage donnant à manger à des chiens. Il est possible que la scène principale se réfère à l’histoire de Faust et de Marguerite et notamment à la scène où ces deux personnages déambulent dans un jardin. Entre 1860 et 1861, Tissot a traité à huit reprises le thème de Faust[4] et notre esquisse est probablement une première pensée pour un tableau non réalisé.
[1] James Tissot, l’ambiguë moderne, Paris, musée d’Orsay, 2020, n°11-12, p. 23 et 307.
[2] M. Wentworth, James Tissot, Oxford, 1984, p. 40.
[3] Étude pour le fils prodigue, mine de plomb et rehauts de blanc sur papier rose, 24,1 x 30,6 cm (New York, The Metropolitan Museum, inv. 1970.114.1) ; Étude pour la mère, mine de plomb et rehauts de blanc sur papier vert, 23,5 x 25,1 cm (ancienne collection David Daniels ; New York, Christie’s, 13 octobre 1993, n°30) ; Étude pour l’homme tenant un coffret, mine de plomb et rehauts de blanc sur papier rose, 31,1 x 15,8 cm (ancienne collection Maurice Marignane ; Berlin, Bassenge, juin 2021, n°6685).
[4] Dont Marguerite à l’église (collection particulière) ; Rencontre de Faust et de Marguerite (Paris, musée d’Orsay) ; Marguerite à l’église (Dublin, National Gallery of Ireland) ; Faust et Marguerite au jardin (collection particulière) ; Marguerite à la fontaine (collection particulière) ; Marguerite au rempart (collection particulière).