Paul Chabas
Nantes, 1869 – Paris, 1937
Alphonse Daudet, 1894
Huile sur toile
55 x 46 cm
Signé et annoté en bas à droite : Affectueusement / Paul Chabas
Œuvre en rapport
Étude préparatoire pour Chez M. Alphonse Lemerre à Ville-d’Avray, conservé en collection particulière
Né à Nantes dans une famille commerçante et cultivée, Paul Chabas, comme son frère aîné Maurice, se destine très tôt à la peinture. Dès 1883, à l’âge de 14 ans, il entre à l’Académie Julian où il est l’élève de William Bouguereau et de Tony Robert-Fleury. A partir de 1885, Chabas expose au Salon des artistes français des portraits pour lesquels il est rapidement reconnu (Portrait de la femme de l’artiste, mention honorable en 1892). En 1899, l’obtention d’une bourse d’études lui permet de voyager deux ans à l’étranger, de l’Italie à la Grèce, de la Turquie à l’Algérie et à la Norvège. Son œuvre, dans un premier temps académique, subit ensuite une influence symboliste et se rapproche de la manière de Puvis de Chavannes. Sa famille possède une propriété au bord de l’Erdre, où Chabas passe ses vacances et peut à loisir admirer les reflets changeants, les effets de lumière et les mouvements incessants de la rivière. Il multiplie alors les compositions oniriques où de jeunes femmes, nimbées de lumière crépusculaire, se baignent dans des paysages éthérés. Ses œuvres lui assurent fortune et renommée : Chabas sera directeur de l’Institut de France, commandeur de la Légion d’honneur et président de la Société des artistes français.
Au début de sa carrière, en 1894, Chabas reçoit la commande d’un important portrait de groupe, Chez M. Alphonse Lemerre à Ville-d’Avray (huile sur toile, 285 x 338 cm, collection particulière, fig. 1). Commandé par l’influent éditeur littéraire Alphonse Lemerre (1838-1912), ce grand format représente ce dernier, accompagné de sa famille et de ses auteurs dans le jardin de sa villa de Ville-d’Avray, ancienne propriété de Camille Corot. Le tableau se veut un manifeste du Parnasse, ce mouvement littéraire et poétique soutenu par Lemerre depuis 1866. Parmi les 27 personnages représentés sur ce tableau, on remarque notamment le profil vers la droite de Charles-Marie Lecomte de Lisle (1818-1894), considéré comme la tête de file du mouvement, mais aussi les portraits de José-Maria de Héredia (1842-1905), Sully-Prudhomme (1839-1907) ou encore François Coppée (1842-1908). A l’extrême droite, l’éditeur, accompagné de sa femme, de sa mère et de ses enfants et petits-enfants, semble surveiller ses auteurs.
Ce tableau a probablement été pensé comme un hommage à Lecomte de Liste, qui disparait en 1894. Pour réaliser son grand format, Chabas exécute des esquisses de chacun des personnages représentés. Le musée du château de Versailles conserve ainsi un groupe de neuf études de portraits (Sully-Prudhomme, José-Maria de Hérédia, Jules Breton, Auguste Dorchain, Paul Bourget, Paul Hervieu, François Coppée, André Theuriet et Marcel Prévost)[1] tandis que le musée d’Orsay possède celui de Paul Arène[2], le musée Carnavalet celui de Jeanne Loiseau (connue sous le nom de plume de Daniel Lesueur)[3] et le musée municipal de Cambrai celui d’Auguste Dorchain. D’autres esquisses sont conservées en collections particulières. Toutes ces œuvres (sauf celle de Cambrai) sont réalisées à l’huile sur des toiles d’environ 55 x 46 cm.
Nous sommes heureux de compléter cet ensemble en présentant l’esquisse du portrait d’Alphonse Daudet (1840-1897). Né à Nîmes en 1840, Daudet arrive à Paris en 1858 et s’essaye au journalisme. En 1860, il rencontre Frédéric Mistral qui l’introduit dans les salons littéraires et le présente au duc de Morny dont il devient le secrétaire. Si ses premières publications (Le Petit Chose, 1868 ; Les Lettres de mon moulin, 1869) sont des échecs, Daudet se fait connaître dans les années 1870 avec Tartarin de Tarascon et Les Contes du lundi qui lui apportent célébrité et aisance matérielle. En 1894, il est considéré comme une des personnalités les plus influentes parmi les écrivains de son temps. S’il n’est pas regardé comme un membre du groupe des Parnassiens, Alphonse Daudet est cependant un « auteur maison » des éditions Lemerre qui le publie depuis 1871.
De par sa renommée, Daudet occupe une place de choix dans le tableau de Chabas : il est assis à la table centrale, entre Sully-Prudhomme et Coppée, la tête appuyée sur le coude gauche. Notre tableau présente une forme très esquissée du portrait : le visage est brossé en quelques coups de pinceau, de même que le fond, tandis que le poing est figuré en réserve. Le regard de Daudet se dirige vers la gauche, mais se perd dans le vide et l’auteur semble rêveur. A l’époque de la réalisation de ce portrait, Daudet est déjà très affaibli par une maladie incurable de la moelle épinière. Tout indique de Chabas a réalisé son œuvre en quelques instants, probablement sur le vif. L’artiste semble avoir été fier de ce portrait, qu’il a signé en grand, comme toutes les autres esquisses connues. Nous ne connaissons malheureusement pas l’histoire de ce tableau et ne pouvons deviner à qui s’adresse son affectueuse dédicace. L’œuvre constitue cependant un ajout essentiel pour l’iconographie de l’écrivain comme pour l’histoire de cet important portrait de groupe.