



Jean-Baptiste Santerre
Magny-en-Vexin, 1651 – Paris, 1717
Jeune homme tirant une épée, vers 1711
Huile sur toile
73,5 x 60 cm
Bibliographie
A.-J. Dezallier d’Argenville, Abrégé de la vie des plus fameux peintres, Paris, 1762, t. IV, p. 262
C. Lesné, « Jean-Baptiste Santerre (1651-1717) », Bulletin de la Société de l’histoire de l’art français, année 1988, Paris, 1989, p. 88-89 (comme perdu)
Estampe
Gravé par C. Bricard
Né à Magny-en-Vexin en 1651, Jean-Baptiste Santerre se forme aux côtés de François Lemaire, neveu du peintre d’architecture Jean Lemaire, puis entre en apprentissage chez Bon Boullogne vers 1675. Le début de sa carrière est mal connu mais il est agréé comme peintre d’histoire à l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1698 et reçu quelques années plus tard, en 1704, avec une Suzanne et les vieillards (Paris, musée du Louvre). Logé au Louvre à partir de 1708, il bénéficie de la protection de Louis XIV, qui lui commande plusieurs peintures (Sainte Thérèse pour la chapelle de Versailles, 1710, Versailles, musée du château). Ses compositions historiques restent cependant relativement peu nombreuses. Santerre sera surtout reconnu pour ses portraits et, à ce titre, bénéficie du soutien affirmé du Régent, que l’artiste représente à plusieurs reprises (Portrait du Régent et de Madame de Parabère, Versailles, musée du château). Mais c’est avec les demi-figures de fantaisie que Santerre acquiert la célébrité.
Autour de 1700, le peintre invente en effet une forme spécifique de portraits composés, mi-réels, mi-imaginaires, dans lesquels la figure du modèle est le support d’une allégorie très simple, évoquant une activité familière ou un trait de caractère, comme La Coupeuse de chou, spécialement appréciée (collection particulière). Notre Jeune homme tirant une épée est à cet égard tout à fait représentatif de ce type de peinture où la part de réalisme est faible dans le portrait mais où l’étude psychologique est en revanche extrêmement fine et poussée. Vêtu d’une chemise blanche, d’un bel habit rouge à boutons dorés et d’un chapeau à plume, notre Jeune homme tirant une épée joue au militaire en brandissant une épée qu’il tient des deux mains. Avec sincérité, celui-ci nous invite du regard à partager son jeu et sa joie de vivre. La touche du peintre est rapide et, si le pinceau revient délicatement sur les lumières, sur le visage et les mains, il court rapidement sur la redingote, laissant s’inscrire sur la toile, en fines traînées de matière, le souvenir de son agilité. On retrouve ici le coloris très personnel de l’artiste, ce dernier n’utilisant habituellement que quatre ou cinq terres pour former ses couleurs et garantir la pérennité de ses tableaux. Le fond est uni, seulement animé par le jeu des nuances du brun noisette, habilement modulé pour mettre en valeur la figure de l’enfant.
Le découpage de la figure à mi-corps noyée dans la pénombre d’un clair-obscur, le coloris fondé sur une déclinaison de brun et de rouge, tout ici rappelle les figures de Rembrandt ou de Van Dyck. À mi-chemin des tronies grinçants d’un Frans Hals et des figures de caractère d’un Jean-Honoré Fragonard, notre Jeune homme tirant une épée est à la fois une figure de fantaisie et un portrait. Il a d’ailleurs été gravé, en sens inverse, sans doute en 1711[1], par Claude Bricart comme un portrait d’un certain Aubert, un élève de Santerre dont on ignore tout (fig. 2). Un peu plus avant dans le xviiie siècle, notre tableau est probablement celui cité par Dezallier d’Argenville en 1762 dans son Abrégé de la vie des plus fameux peintres.
Jouant d’une ambiguïté particulièrement raffinée, abandonnant les poses rigides des portraits allégoriques ou officiels qui firent le succès de François de Troy, Nicolas de Largillière ou Hyacinthe Rigaud, Santerre pose un regard plus intimiste sur ses modèles, ce qui fait de l’artiste une des figures les plus attachantes de la peinture française du début du xviiie siècle. Notre Jeune homme tirant une épée est ainsi particulièrement représentatif de cette évolution du portrait français entre Largillière et Nattier.
[1] Date portée à l’encre sur une épreuve conservée à la Bibliothèque nationale de France (M. Roux, Bibliothèque nationale, Inventaire du fonds français, Graveurs du dix-huitième siècle, tome III, Paris, 1934, p. 363, n° 4).